jeudi 7 mars 2013

Thatcher and sons

Le livre qui m’a fait sombrer dans la dépression. La description, par le menu, du plus grand de tous les changements ratés. JENKINS, Simon, Thatcher and sons, Penguin, 2007.

Deux révolutions
Mme Thatcher a gouverné contre son parti et contre une majorité de ses concitoyens. Son règne est marqué par trois victoires. Contre les Argentins aux Malouines, contre le syndicat des mineurs en Angleterre, et contre l’Europe. La première, qui va assurer une survie politique compromise, est due à son incompétence. Ayant terrorisé son cabinet, il n’a pas eu le courage de lui dire ce qui se tramait en Argentine, et comment le prévenir.
Curieusement, elle est hésitante et politique, au sens traditionnel du terme. Le radicalisme des réformes thatchériennes est le fait de ses ministres des finances et de l’éducation, et de ses successeurs. En premier lieu Blair et Brown.
Margaret Thatcher rêve d’une sorte de « dictature de la bourgeoisie ». Elle n’aime ni la haute société, ni les pauvres. Elle veut rendre aux classes moyennes leur dû. Pour cela, elle rompt le « consensus » d’après guerre, l’Etat protégeant la société des aléas du capitalisme.
Le thatchérisme produit « deux révolutions ». D’abord une privatisation massive de l’économie, à prix bradés. Ensuite, paradoxalement, une centralisation sans précédent (y compris en France) de l’Etat. En effet, comme dans le modèle léniniste, pour détruire un ennemi qui s’étend à mesure qu’on le réforme (socialisme, syndicats, universités, démocratie locale…) il faut un pouvoir d’exception. En outre, l’Etat découvre qu’il doit contrôler les monopoles privatisés (par exemple le rail), puisque le marché ne peut pas le faire.

Le totalitarisme du tableau de bord
D’où deux effets léninistes. En premier, une colossale perte d’efficacité de l’Etat. « La centralisation thatchérienne n’a réduit le coût d’aucun programme (pas même du logement). Dans ce dernier quart de siècle, les dépenses publiques n’ont pas seulement cru, en termes réels, elles ont doublé ». Elle vient de ce que le ministère des finances veut tout contrôler. Ce qui est démesurément coûteux (il emploie des nuées de consultants !), et ridiculement inefficace. Surtout, il veut quantifier pour allouer au mieux ses subsides. Jusqu'à la moindre dépense locale. Inconcevable même chez nous ! Le mouvement de libération de l’individu est devenu un flicage totalitaire.

Croisade
Pourquoi n’a-t-on pas réalisé toute l’inefficacité de ces changements ? Parce que le Thatchérisme est un combat. Ses forces du mal sont le service public et la démocratie. Il pense, comme Hayek, que l’avènement de la culture des affaires fera le bonheur collectif. Car elle est honnête. « (Gordon Brown) a mis sa confiance dans le capitalisme comme outil de redistribution sociale, alors que ses prédécesseurs avaient mis la leur dans le service public. » Le changement était un acte de foi. Une nouvelle culture aurait des bénéfices immenses. Pourquoi compter, dans ces conditions ? C’était le pari de Pascal.
Ou de Lénine ? La réforme succède à la réforme. Thatcher et Blair en veulent toujours plus. Aujourd'hui, ils regrettent de ne pas être allés assez loin : c’est pour cela que ça n’a pas marché.

La gabegie
Les cabinets de conseil et les « quangos » sont partout. « Les dépenses en conseil du gouvernement travailliste ont été estimées à 70md£ entre 1997 et 2006 (…) La profession elle-même a estimé que quelques 40% de sa production étaient à destination du secteur public. » Les quangos sont des organismes confiés à des ressortissants du secteur privé. Ils répartissent les fonds publics à usage public, sans contrôle démocratique. On y gagne beaucoup d’argent.
L’administration dépense aussi des fortunes en ordinateurs et en avocats. Souvent pour des projets qui avortent. Les entreprises privées sont comme chez elles dans les ministères. Elles détachent des pans entiers de la fonction publique. Inexplicablement, le nombre de fonctionnaires n’arrête pas de croître.

Thatcher, Major, Blair, Brown… et Sarkozy
Ce que révèle le livre aussi est à quel point Thatcher, Major, Blair, Brown et Sarkozy sont faits du même bois. Fascination pour les riches, haine de l’establishment, aucune culture, mais aussi, et c’est plus surprenant, aucune vision. Ils sont excellents dans les situations de crise. C’est elles qui les gouvernent. Ce sont surtout de vilains petits canards. Thatcher doit sa carrière à ce qu’elle était une femme, et à quelques hasards heureux. Blair à ce que les travaillistes ont besoin d’un renouveau, et qu’il est différent de ses collègues.

L’Europe de Thatcher et maintenant
Lire ce livre permet d'expliquer qui nous est arrivé : nous avons appliqué aveuglément la méthode Thatcher, partout. Certes, mais n’a-t-elle pas réussi en Angleterre ? C’est ce que pense Simon Jenkins. Mais pas moi. Il dit que le Thatchérisme a créé un « nanny state », un Etat nounou. L’Anglais en est devenu totalement dépendant. Je crois qu’il a fait bien plus que cela. Il a infantilisé l’entreprise. Voici ce que disait The Economist, récemment : « Entre 1997 et 2007, la Grande Bretagne a connu un boom, en grande partie dans le secteur public et la construction. Des nouveaux emplois ont été créés par l’Etat, et des cabinets de conseil sont apparus pour répondre aux appels d’offres publics. Le capital et l’emploi ont été aspirés par le boom de la construction. Une grosse partie du boom britannique était lié à l’économie domestique ». Et si le Thatchérisme avait été une bulle spéculative ?

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci beaucoup, Christophe, pour cette brillante analyse !
Je peux simplement témoigner que j'étais en GB de 1969 à 1973 et que je travaillais dans l'industrie. Une situation désastreuse, due aux syndicats, qui étaient bien plus actifs et nocifs que les nôtres.
Beaucoup de mes amis britanniques de l'époque ont applaudi M Thatcher.
Peut-être étaient-ils borgnes ?
jean-pierre

Christophe Faurie a dit…

L'auteur du livre (qui me semble assez nettement de gauche) pensait comme vous. Je crois que tout le monde a cru que le Thatchérisme avait été un mal nécessaire.
Ce qu'il y a de totalement inattendu est qu'il a eu des conséquences à l'opposé de sa philosophie. 1) Il a créé une sorte d'Etat tuteur bien plus puissant que le nôtre, puisque son pouvoir s'étend jusqu'à l'échelon local. Il contrôle tout, et dans un détail surprenant. 2) La création de cet Etat a produit un appel d'air qui a attiré tout un tas d'entreprises en quête de marchés faciles. Du coup, le tissu économique s'est affaibli, et, maintenant, n'est plus du tout compétitif internationalement. Le livre n'avait pas vu cet aspect des choses. J'ai demandé l'avis de l'auteur sur la situation actuelle du pays. Il semble approuver mon analyse.
On a ici un extraordinaire exemple de changement non contrôlé. C'est ce que disent mes livres à la puissance dix!