vendredi 11 juillet 2008

De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville

TOCQUEVILLE (de), Alexis, De la démocratie en Amérique, Flammarion, 1999.

Tocqueville, grand aristocrate, voit son monde disparaître. La démocratie qui s’annonce menace de niveler tout ce qui était beau et grand. Certes, la montée de l’égalité est inéluctable, mais ne peut-on pas la diriger afin qu’elle ne se transforme en une dictature d’un seul, ou de la majorité ? Tocqueville, disciple de Montesquieu, part aux États Unis, nés démocratie, pour y chercher l’inspiration.

L’analyse joue du paradoxe. La chance des États-Unis, c’est d’être isolés, ils ont pu développer un type de gouvernement qui aurait été impossible s’ils avaient dû faire face à des guerres permanentes (qui force à la concentration du pouvoir). Le mécanisme de pilotage de l’ensemble est surprenant : un gouvernement central faible, qui n’attire que les médiocres (ce qui limite les risques de despotisme), des États forts, soudés par de mêmes intérêts ; un pilotage central qui ne joue pas avec les états, mais avec les individus de ces états, par le biais du judiciaire (si une loi d’un État est mauvaise, elle aura de fortes chances d’être attaquée en justice par un particulier, l’arrêt fera jurisprudence).

Quelques autres idées : l’importance de l’équilibre entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire qui bloque efficacement les risques de despotisme ; le rôle de la commune, fort autonome, où tous les magistrats sont élus (contrairement à la France), comme école de la démocratie ; mais ce qui tient ensemble l’édifice américain, c’est avant tout des mœurs à la fois communes à tous ses habitants et propices à la démocratie, et, dans une moindre mesure, des lois adaptées.

Mes commentaires, du moment :

Il n’y a peut-être rien de plus actuel que le projet de Tocqueville. Car le changement que la planète subit est là. C’est la marche victorieuse de la démocratie. Et comme l’a compris Tocqueville c’est un changement extrêmement dangereux. Et exactement pour la raison qu’il a perçue : son succès est une question de mise en œuvre. Mais, attention à la malédiction qui plane sur tout changement : une brillante idée théorique, qui échoue faute de mise en œuvre adéquate.

La démocratie telle que la vit un tout petit nombre de pays occidentaux est le fruit d’une très longue mise au point. Aujourd’hui, la démocratie nous semble couler de source. Et c’est pour cela que nous trouvons injuste que la population de la planète n’adopte pas nos valeurs. D’ailleurs elle a un pouvoir de séduction extraordinaire : elle révèle à l’individu son individualité, ses droits. Soudainement il se découvre enchaîné et ne demande qu’a se débarrasser de contraintes insupportables.

Or, ces contraintes étaient ce qui permettait jusque-là à la société de fonctionner. Par exemple, le mécanisme indien des castes est un moyen de division du travail, pas un système d’oppression. L’application du modèle occidental conduit au conflit entre castes. C’est ainsi que la démocratie a suscité le réveil des nationalités en URSS, d’où anarchie. Il en serait de même en Chine, si le pouvoir central ne dirigeait pas le pays d’une main de fer. Pour la communauté impréparée, la démocratie est un poison.

La démocratie exige en premier lieu un peuple uni par des valeurs communes. Ensuite, ces valeurs doivent être mûrement choisies pour qu’elles constituent un régime qui encourage ce qu’il y a de mieux en l’homme, et non le contraire.

Il est tentant pour l’Occident de jouer sur l’attrait de la démocratie, et sur le manque de maturité démocratique du reste du monde, pour le désorganiser et en tirer quelque intérêt à court terme. Il possède pour cela des armes redoutables, les ONG n’étant pas les moindres. Ce faisant il menace de disloquer les pays concernés. Les réflexes ancestraux de maintien de l’ordre ressurgissent alors, et ils sont attentatoires aux droits de l’homme.

L’Occident ferait bien mieux d’aider ces contrées à acquérir les techniques de mise en oeuvre du changement démocratique : les méthodes qui lui ont permis de devenir une démocratie, sans se disloquer, et sans brutaliser ses citoyens.

Références :
  • Sur les tensions subies par la Chine : BILLETER, Jean-François, Chine trois fois muette : Suivi de Essai sur l'histoire chinoise, d'après Spinoza, Allia, 2006 (à noter que l’auteur propose un changement à la Chine qui semble un des plus irréalistes qui soit).
  • Sur la tentative récente de plaquer les concepts de l’économie de marché occidentale sur la Russie : Changement en Russie
  • Sur l’organisation des castes en Inde : DUMONT, Louis, Homo hierarchicus: Le système des castes et ses implications, Gallimard, 1979.