jeudi 25 juillet 2013

Un anthropologue chez les biscuitiers

Eric Minnaert quitte les Pygmées d’Afrique pour les Aborigènes d’Australie. Mais la culture qu’il devait étudier a disparu. « C’est moi qui enseignait aux enfants leurs mythes d’origine. »

Il poursuit ses études en Australie. Il obtient un Master. Quand il revient en France, il découvre que ses diplômes ne sont pas reconnus. Un peu décontenancé, il s’inscrit en maîtrise d’art. Un jour, il lit une petite annonce. La société SHS d’Alain Etchegoyen recherche un ethnologue. Il passe un entretien. Contre toute logique, il est retenu. Il devient anthropologue de l’entreprise.

« Pourquoi les gens font-ils grève, pour ne rien revendiquer ? » se demande un fabricant de biscuits. Une nouvelle usine, ultramoderne, est paralysée par des grèves, qui ne semblent avoir aucune raison. Voilà le problème que va devoir résoudre Eric Minnaert.

Pour l’anthropologue, il n’y a pas de différence entre une tribu pygmée, et une entreprise. Même démarche méthodologique. On s’aménage un habitat, et on vit avec les autochtones. « Une immersion de plusieurs mois. » « C’est un travail à long terme avec la culture. » « J’absorbe leur pensée collective. » Mais, contrairement à ce qui se fera par la suite, Eric Minnaert n’est pas présenté comme un anthropologue. Il entre dans la société comme intérimaire. Il remplace un robot dans une ligne filoguidée ; puis, il fait équipe avec un sourd. Comment lier connaissance dans ses conditions ? D’ailleurs, l’atmosphère est étrange. L’usine est ultra mécanisée. Les hommes font des travaux de robots. Il n’y a plus de vie humaine. On ne communique pas. « Les gens circulaient en évitant de se croiser. » Par exemple, le parking est divisé en trois zones. L’une est occupée par l’équipe de nuit, une autre par l’équipe de jour. Au milieu, un grand vide, dans lequel Eric gare sa voiture.

Grève ! Eric arrête sa machine et rejoint les grévistes. Les dirigeants de l’usine, affolés, appellent Alain Etchegoyen : « l’anthropologue fait grève ». Lorsqu’Eric arrive dans la salle où sont réunis les grévistes, tout est calme. Aucune revendication.

Il comprend. La précédente usine était une sorte d’affaire de famille, tout le monde se connaissait, on se recrutait entre soi, tout n’était que petites « combines » entre proches. Or, maintenant, l’usine est une affaire de robots. « N’importe qui pouvait vous remplacer. » « On avait dépossédé les gens de leur métier. » « On voulait qu’ils s’engagent, mais sur quoi ? » « Il y avait eu une inversion : de la solidarité on était passé à la concurrence. » Quand l’isolement individuel devenait insupportable, « les moments de grève servaient à se retrouver ». Les syndicats cherchaient à rationaliser ce phénomène incompréhensible en disant que les gens voulaient plus d’argent. Ce n’était pas le cas.

La solution ? Pour travailler, les employés de l’usine avaient besoin d’un sens à leur travail, qu’il ait une utilité sociale. Et cette utilité a un nom : le métier. « On a travaillé sur la notion de métier. »


« L’usine existe encore. C’est une usine pilote. »

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