dimanche 3 juin 2012

A la recherche d'une définition de l'expert!

Voilà 16 ans que je pratique ce métier dit "d'expert" dans la niche de la Responsabilité Civile, et chaque fois que se pose la question de la définition de ce métier, je demande avant de répondre à mon interlocuteur, s'il a un peu de temps devant lui...
Je pourrais le diriger vers WIKIPEDIA l'encyclopédie qui répond à toutes les questions, mais même ce célèbre dictionnaire universel bloque sur la question et reste vierge de définition.
La définition du site de la FFSA (fédération française des sociétés d'assurances) n'est pas très précise et réduit l'expert à un enquêteur technique et métreur.
Pas très alléchant, peu précis et si loin de mon quotidien!
Un peu d'histoire :
Ce métier est probablement né avec l'essor de l'assurance au XVII ème siècle et la naissance des Lloyd's. Son créateur Edward Lloyd était un tavernier astucieux, dont les idées feront des Lloyd's LA référence pendant deux siècles. A cette époque le développement du commerce maritime et le grand incendie de Londres  ont été de puissants moteurs de développement de l'assurance.
L'expert est donc issu du domaine maritime et de celui des dommages consécutifs à un incendie (13 200 bâtiments détruits Londres lors du grand incendie en 1666).
Le développement de l'industrie, de l'automobile et de la propriété, sont sans doute les autres moteurs avec la bourse et les placements financiers qu'elle permet.
Les Anglais nomment l'expert "loss adjuster", on peut traduire cela par "ajusteur de perte".
Il s'agissait donc d'évaluer la perte lors d'un sinistre (une avarie ou un incendie) sur des biens assurés pour le compte de l'assureur qui la régle au regard de la police souscrite par l'assuré.
En d'autres termes disons que l'assureur fait payer le transfert d'un risque de son assuré vers lui, en promettant de régler la perte en cas de survenance de ce sinistre. L'expert joue le rôle de M. BONS OFFICES en donnant à l'assureur  les informations utiles aux respects de ses engagements contractuels.
Jusque là les choses paraissent assez simples.
Napoléon arrive et fait rédiger le code civil en 1804, code qui, au demeurant, se démarque de la Common law, anglaise.
C'est probablement à cette époque que l'expert en responsabilité civile (RC) a pu voir le jour. Il se démarque fondamentalement des experts précédents en ce sens qu'il s'appuie d'abord sur le droit civil.
Voilà donc une vraie surprise si bien ignorée :
L'expert dit  RC ne peut pas être un technicien spécialisé et solitaire. Il possède une vraie connaissance en matière de droit, même s'il n'est pas juriste.  En effet, ici l'assureur prend en charge le risque de son assuré lorsque sa responsabilité est recherchée pour un dommage, mais cette fois causé à autrui. A la dimension, évaluation économique du dommage s'ajoute l'étude du contexte juridique (fondement) qui permet au tiers lésé de rechercher la responsabilité de l'assuré, et également la connaissance des conditions d'application de sa police d'assurance. Bien entendu, l'expert doit maîtriser l'aspect technique du sinistre (mécanique, construction, électrique, environnement, produits, chimique, corporel, transport...).
Complexe non!
J'en arrive finalement à ma conclusion  sur la définition de l'expert RC, c'est un grand spécialiste de la gestion de crise de toute dimension. Son savoir-faire c'est
  1. l'analyse rapide fiable et multiple de la situation, sur l'ensemble des volets évoqués.
  2. la définition d'une stratégie de conduite de son expertise et des moyens utiles
  3. la mise en place d'une solution de sortie de cette crise au mieux des intérêts des parties prenantes.
Belles paroles allez vous dire!
Certes non, il existe des centaines de cas qui dorment dans nos cabinets d'expertise et qui pourraient merveilleusement illustrer cette vision (voir le billet sur la dialectique de l'expert). Certains assureurs avisés partagent d'ailleurs cette vision élargie de l'expert (voir le billet "un trésor caché").
Mais le risque est grand de voir tout cela disparaître avec le poids de SOLVENCY II et l'image si floue, si pauvre, et, surtout, si erronée de l'expert qui ne sait contrer le transfert de l'achat des prestations d'experts, des sachants du terrain vers des acheteurs si mal conseillés.
Aujourd'hui l'expert, comme l'abeille, est menacé, on ne voit que sa piqûre ou son miel mais on oublie que sans elle les prairies et les fleurs disparaîtront.





3 commentaires:

Christophe Faurie a dit…

Si je comprends bien, l'expert en RC est propre à la France?

Cette histoire de responsabilité semble un problème juridique complexe. Par exemple, peut-il y avoir des problèmes d'interprétation complexes ?
J'imagine que cela doit compliquer beaucoup le travail de l'expert... Peut-on s'improviser expert en RC, ou faut-il beaucoup d'expérience? S'il y a interprétation possible, y a-t-il un système de contrôle?...

Dominique Delmas a dit…

La responsabilité c'est l'histoire de la vie en société.
Elle repose sur les principes de la RSE (DD) le lien social (droits et devoirs), le lien économique et le respect de son environnement.
Peut être l'expert est il l'homme de l'art du compromis? Il construit le référentiel RSE, pour chaque dossier, qui permet ce compromis;
Par conséquent, l'expert ne peut être un individu isolé mais c'est un maître d’œuvre qui organise les compétences pour aboutir à ce compromis. Il a donc une forte expérience et un savoir faire cumulé sur l'ensemble des dossiers traités.
Il y a donc un savoir faire individuel couplé à celui de l’organisation. C'est ce schéma là qui se met ( ou devrait se mettre) en place dans les sociétés d'expertise. Sachant que le travail en collaboratif est encore très peu répandu du fait de l'origine solitaire de l'expert.
Le système de contrôle reste à optimiser...

Christophe Faurie a dit…

La dimension juridique de l'expertise m'intrigue.
Une expertise peut-elle échouer du fait d'une mauvaise analyse de l'aspect juridique du sinistre ?
Autrement dit, en quoi le résultat de l'expertise dépend-il de l'expert? Et, en particulier, de ses compétences juridiques?
La question qui suit : faut-il laisser à la compagnie d'assurance le soin de désigner un expert?