samedi 15 août 2009

Stupidités et changement

Le changement est brutalement devenu une mode, les entreprises sont assaillies par une génération spontanée d’experts, et par des cabinets de conseil qui leur proposent des hordes de consultants… Comment s’y reconnaître ?

Une réflexion, au travers de quelques stupidités rencontrées récemment, qui montrent qu’experts et consultants manquent singulièrement de bon sens…

Ne pas définir ce qu’est le changement

Curieusement, les experts du changement ne disent jamais ce qu’est le changement. Après une étape de glorification du changement, le bien absolu, puis la dénonciation de l’attitude rétrograde et malveillante des employés, on s’engage dans la présentation de moyens de coercitions sophistiqués et difficiles à comprendre.

Vous êtes incompétent

D’après ce que me disait un dirigeant, l’offre de changement est pléthorique et l’attitude des consultants agressive. Ce qui l’a choqué, c’est qu’ils veulent faire le travail de ses équipes. Or, n’est-ce pas à lui de mener à bien son changement (une informatisation de ses procédures de gestion clients) ? Pourquoi ses collègues auraient-ils besoin de consultants junior pour leur montrer comment travailler ?

Le changement, ça ne date pas d’hier. Notre société, nos entreprises... n’ont pas arrêté de naître et de se transformer, sans conseil en changement. Pourquoi d’un seul coup le dirigeant serait-il incompétent ? Pourquoi son organisation aurait-elle besoin de répétiteurs juniors ? Ça fait très cher l’évolution tout cela. D’ailleurs qu’est-ce qui nous garantit que l’expert soit meilleur que nous ? Connaît-il mieux notre entreprise que nous ?

« Les causes de blocage ne sont donc pas structurelles, la plupart du temps, mais humaines »

Voilà ce que dit une présentation. Ce qui signifie que le changement c’est changer des hommes.

Eh bien c’est ridicule. Un ami américain, ex dirigeant d’un peu plus de 80 ans, en veut à sa femme française pour le gaspillage qu’elle fait du papier de toilette. Ça dure depuis des décennies. Notre vie n’est faite que de tels exemples : nous sommes quasiment incapables d’évoluer. Et il y a pire : une entreprise c’est des milliers de personnes, imaginez que vous deviez vous occuper d’eux homme à homme.

Nos grands experts prétendent mener le changement contre l’homme, pris individuellement. Comme c’est impossible, ils échouent systématiquement.

Le mythe de l’employé malveillant

L’expert du changement entretient la fiction selon laquelle l’employé est un tire au flanc, un retardé intellectuel, qui refuse tout ce qui est nouveau, il en veut à l’intérêt de l’entreprise et de son bon dirigeant. (Sans réaliser que son raisonnement signifie qu’avant d’être dirigeant, celui-ci a été tire au flanc incompétent.)

Si l'expert avait écouté les psychologues, ou s’il s’était interrogé sur sa vie, il saurait que l’homme a besoin d’une réussite sociale pour être homme. Un tire au flanc est un raté. Nous ne sommes pas nés pour mal faire notre travail. Et notre résistance au changement vient de là : ce qu’on nous propose a été mal conçu, et nous empêche de faire correctement notre devoir.

Des experts qui ne connaissent pas la science

Je n’ai encore jamais vu un cabinet de conseil ou un expert expliquer qu’il est devenu forgeron en forgeant. Non, il parle de techniques, de théories savantes. Il se place sur le terrain de la science. Mais, lorsqu’il donne des textes de référence, il parle, au mieux, de gourous locaux sans lendemain. Pourquoi n’entend-on pas les noms de grands scientifiques ?

Le changement est un sujet fondamental pour la sociologie, la psychologie, l’ethnologie, l’économie, la médecine, la physique... D'ailleurs, les MBA enseignent le changement depuis toujours, pourquoi, simplement, ne pas faire référence à ce courant de recherche ?

S'il l'avait fait, l'expert aurait vu que ce qui parle de changement en MBA s’appelle « organisational behaviour », comportement des organisations (en Français : sociologie des organisations), pas « comportement des individus ».

Pour changer il faut énormément de moyens

L’enseignement n°1 de la sociologie, retrouvé depuis peu par la théorie de la complexité, est que lorsque l’homme se réunit en groupe, il obéit aux règles du groupe. Pour faire changer le groupe, il faut faire changer ces règles. (Cf. le code de la route et l’automobiliste.)

C’est comme cela que l’on court-circuite l’incapacité individuelle de l’homme au changement. Comme le changement n’est qu’une question de changement de règles, il ne coûte rien, il ne demande pas des masses de consultants, et leurs schémas directeurs compliqués. Il est « à effet de levier » selon l’expression de Jay Forrester, le pionnier de la dynamique des systèmes (la modélisation mathématique des organisations humaines).

Yakafocon

Ce qui frappe dans l’exposé des consultants, c’est que l’on y parle de solutions, pas de problèmes.

Depuis des siècles, la France est le pays du « yakafocon ». Le yakafocon n’exprime pas un objectif, mais une manière de faire. Par exemple, on ne nous a pas expliqué la raison de la réforme des universités qu'on nous dit qu'il faut absolument évaluer les chercheurs. C’est parce que le yakafocon est stupide que le changement n’arrête pas d’échouer en France.

Pour faire réussir le changement, il faut en expliquer la raison. Une fois qu’elle l’aura comprise, l’organisation saura le mettre en œuvre. Il suffira juste de lui fournir un rien de coordination pour cela.

La France ne change pas

Ces échecs à répétition rendent les experts amers. Il en faut peu pour qu’ils vous confient (et même qu’ils écrivent) que le Français est un veau. Pour qu’il évolue, il faut lui brûler les pieds me disait un spécialiste du changement d’un fameux cabinet international (théorie de la « burning platform »).

Encore faux. Crozier (Le phénomène bureaucratique) dit que le Français change dans la crise. Le changement échoue à cause du yakafocon, mais il arrive un instant où la crise, faute d'avoir changé, est inévitable. Alors la France bouge. Ce n’est pas l’effet brutal d’un miracle, la preuve que quand elle veut elle peut, non : il lui a fallu vingt ans pour comprendre comment changer, elle tire les enseignements des précédentes tentatives ratées.

Conclusion : je dois changer, qu’est-ce que je fais ?

L’enseignement principal de cette discussion est la découverte du changement par le Français. Aujourd’hui, il change « au noir », parce que le changement est supposé aller de soi. Du coup, parce qu’il n’a pas les moyens qu’il faut, il échoue. Ce qu’il doit savoir :

  1. Il y a quelque chose que l’on appelle changement, et qui doit s’aborder comme une tempête dans la vie d’un capitaine. Les tempêtes sont inévitables, elles font partie du métier. Par conséquent on a mis au point des procédures adaptées aux tempêtes. L’organisation comme le navire doit construire un savoir-faire de changement. Par exemple, le manager doit réserver 50% de son temps à l’imprévu et au suivi de son équipe, le reste à ses fonctions de beau temps (ce qui ne veut pas dire en faire moins, mais faire l’essentiel).
  2. Conduire le changement c’est 3 choses : 1) expliquer la raison du changement (le quoi et pas le comment) ; fournir 2) le processus qui va permettre à l’entreprise, ou à quelques uns de ses représentants, de concevoir la nouvelle « organisation » que demande le changement et 3) le processus qui va mettre en fonctionnement cette nouvelle organisation.
  3. Le problème du Français aujourd’hui n’est pas son incompétence en changement, mais, en quelque sorte, son amateurisme. Il manque de techniques et de moyens. Du coup, le changement, quand il réussit, dure trop longtemps et l’épuise. D’une certaine façon, il doit devenir un « professionnel » du changement, et gagner en productivité. Pour cela, il doit s’entraîner. Au préalable il doit identifier ses défauts les plus graves (ceux qui « tuent le changement »), et subir un minimum de formation au vocabulaire et aux techniques du changement, de manière à pouvoir se repérer dans l’offre de service qui lui est faite.
Compléments :

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