mercredi 15 avril 2009

La pensée en Chine aujourd’hui

La pensée en Chine aujourd’hui, sous la direction d’Anne Cheng, Folio, 2007. Un groupe d’essais par des sinologues importants.

Il évite l’effet hétéroclite que donne d’ordinaire ce type de travail (où chacun tend à parler de ce qui l’intéresse sans considération pour l’impression d’ensemble que cela donne), mais est-ce que cet assemblage pas terriblement exhaustif de travaux est représentatif de ce qui se pense en Chine ? En tout cas voici ce que j’en ai retenu :

Un changement douloureux
L’histoire de la Chine est celle d’un changement extrêmement difficile, et qui est loin d’être fini.
Tout d’abord, la Chine, qui se voyait comme la seule civilisation mondiale environnée d’un chaos informe, a mis fort longtemps à prendre conscience de ce qui lui arrivait, que ces « petits barbares », ces sous-hommes occidentaux, méritaient le moindre intérêt. Ensuite, il semblerait que toute son histoire récente, celle de ses révolutions, ait consisté à chercher la formule magique qui lui rendrait sa place centrale, par un « grand bond en avant ». À chaque révolution, elle a cru avoir trouvé le régime étranger qu'il suffisait de copier pour opérer le miracle.
Ce que la Chine craint plus que tout au monde, semble-t-il, c’est la mondialisation. Probablement parce qu’elle menace ce qu’elle a de plus cher : sa culture.
Elle semble avoir résolu la question en décidant que la force de l’Occident est sa technologie. C’est elle qu’il faut adopter pour revenir à la surface. De ce fait, l’essence peut rester chinoise.
La culture occidentale paraît à la Chine une monstruosité qu’elle tente d’acclimater en essayant d’être le moins contaminé possible. Cette approche théorique du changement fait que la Chine cherche les secrets du succès occidental en aveugle. Elle les attribue à ce qui est le plus visible (la religion, la philosophie…) et elle essaie de le copier, en pensant que ce mélange va régénérer sa culture. Et cela donne des inventions originales : philosophie chinoise, médecine chinoise traditionnelle (inventée ces dernières décennies), nouvelles religions…
Quand à des notions culturelles telles que la « démocratie », mystère complet. Arme de destruction culturelle massive de l’Occident ? Peut-être que chaque nation doit donner sa définition à un tel concept (après tout l’Occident ne s’est pas fait en un jour) ? Et si la Chine devait proposer des modèles alternatifs, mais tout aussi universels ?...
D’ailleurs, ce que nous prenons pour des dissidents (Liu Xiaobo) seraient des champions des valeurs de la Chine éternelle bafouées par un gouvernement indigne, non le prototype d’un citoyen occidental.
La Chine a été conduite à remettre en cause une à une tout ce qui comptait pour elle, pensant à chaque fois que c’était cette part de la tradition qui l’empêchait de s’adapter. Elle a même songé à réformer son écriture. Pourtant, elle semble jouer pour le Chinois un rôle aussi important que celui de la parole (ou plutôt de la raison) dans notre civilisation occidentale.

Le bout du tunnel ?
Le succès récent de la Chine a transformé son point de vue. Dorénavant elle est certaine que c’est sa nouvelle culture qui fait son succès. Et elle pourrait vouloir donner des leçons au monde, n’est-ce pas comme cela que se comporte l’Occident ?

La chine éternelle
Pas étonnant qu’un montage aussi compliqué et théorique soit difficile à saisir pour nous. Rien à voir avec le mystère de l’âme orientale…
D’ailleurs, on entraperçoit dans ces essais ce qui constitue peut-être la Chine éternelle, et ce qui s’entend d’ailleurs mal avec nos valeurs. La civilisation chinoise préfère les proches (« les devoirs décroissent à mesure que l’on s’éloigne du noyau familial »), respecte les anciens, est loyale vis-à-vis de la famille, efface l’individu devant le groupe, a un « devoir de vengeance ». Tout ceci ne colle pas avec nos impératifs « d’amour universel », « d’égalité entre tous », « de lois universelles égales pour tous ».
Bizarrement, elle a pourtant beaucoup à nous apprendre. Elle a découvert il y a bien longtemps ce que notre science ne fait qu’entrapercevoir. Elle a une vision sociologique du monde, le réseau étant plus important que l’individu, qui est façonné par la société. Pour elle le temps n’a pas de sens : en fait la société passe d’une configuration à une autre, l’intéressant est le mécanisme de cette évolution. D’ailleurs contrairement à notre vision fractionnée du monde, elle tend à substituer le continu, chaque situation portant le potentiel de sa transformation.
Elle n’avait pas de réelles religions, et donc de guerres de religions : confucianisme, taôisme et bouddhisme travaillaient main dans la main pour apporter une morale pratique à la population.
Je m’interroge : pourquoi ne semble-t-elle pas savoir utiliser ses forces ? Parce qu’elle n’est pas orientée vers l’action, vers la rationalité au sens de Weber, c'est-à-dire la recherche de l’atteinte d’un objectif ? Ce qui a fait le raffinement de la culture chinoise serait-il une parfaite et subtile maîtrise de règles parfaites et subtiles ? La satisfaction que doivent ressentir de grands maîtres d’échecs s’affrontant ? D’ailleurs, « le barbare qui connaît les rites est un Chinois ». La Chine est avant tout un monde de rites, du statu quo ?

Leçon de changement ?
Quelques réflexions personnelles pour finir. Contrairement au Japon, la Chine n’a pas eu soif d’apprendre de l’Occident (« quitter l’Asie et rejoindre l’Europe »). C’est pour cela qu’elle souffre autant d’une transformation qu’elle fait à contre cœur.
Les psychologues diraient que son deuil n’est pas complet, elle n’a pas trouvé de nouveau sens à sa vie. Au lieu de se réinventer, elle est amarrée à ce qui n’est plus qu’un fantasme. Elle a triché avec le changement. De ce fait, son moteur est faible, elle avance « à l’énergie ». Ne va-t-elle pas s’épuiser, et connaître une nouvelle contraction, un peu à l’image du Japon qui, lui aussi, semble avoir été rattrapé par son passé ?
L’exemple chinois montre aussi les limites de la croyance (culturelle) anglo-saxonne en la globalisation : elle nie la dimension culturelle de l’homme, or celle-ci ne disparaît jamais.

Compléments