jeudi 25 septembre 2008

Frédéric Laîné, senior dealmaker d’IBM

Frédéric Laîné est un des « senior dealmakers » d’IBM. Il travaille sur des grandes affaires d’infogérances internationales.

Une expérience de 19 ans

« quand j'ai développé cette nouvelle offre de services à valeur ajoutée pour Digital Equipement France. A l’époque, l’outsourcing en était encore à son balbutiement. »
« Du serveur vocal d’une grande banque française de mes débuts, j’en suis arrivé à conduire des affaires internationales de plusieurs centaines de millions d’Euros. J’interviens dans le monde entier. »

« L'infogérance (très souvent appelée outsourcing) se définit comme la gestion par un prestataire de services de tout ou partie de l'informatique d'une entreprise (ou de ses processus), dans des conditions de durée, de coûts et de qualité de service définies contractuellement. Les contrats d’infogérance sont généralement négociés pour des durées pouvant s’échelonner entre 5 et 10 ans.

Historiquement, l’objectif d’un projet d’infogérance était de réduire les coûts. A présent, les entreprises utilisent de plus en plus l’outsourcing comme vecteur de transformation de leur système d'information et de leurs processus afin d'améliorer leurs performances. Les grandes affaires d’externalisation sont donc le résultat de décisions stratégiques prises au niveau des Directions Générales des Clients et sont intimement liées à une réorganisation de l’entreprise (« reengineering »).
»

Il possède un savoir faire rare, critique. Il veut le faire partager : « En plus des affaires que je dirige, j’anime des formations à la structuration et la conduite d’affaires complexes pour les employés d’IBM en Europe. J’envisage à terme d’élargir son champ d’activités dans le cadre de cursus universitaires. » J'en profite :

Ses trucs :

    « Dans une première étape de « business development », beaucoup d’écoute et une préparation extrêmement minutieuse au plus haut niveau de la direction du Client. Cette étape a pour objets 1) de définir les principes généraux d’une solution d’externalisation qui répond aux attentes de l’entreprise et 2) de permettre à la DG du Client d’entériner une décision stratégique en faveur d’une démarche d’externalisation. Cette décision sera le point de départ d’une étape de développement détaillé de la solution qui conduira à la signature d’un contrat. L’étape suivante consistera à mettre en œuvre la solution et à la piloter dans la durée. »
      « Tout est important. La solution développée est pluridisciplinaire et doit répondre à des attentes techniques, organisationnelles, financières, légales, fiscales et aussi humaines car, dans la majorité des cas, le personnel informatique du Client sera transféré chez le prestataire de service, une fois le contrat conclu. Les équipes engagées côté Client et prestataire représentent différentes fonctions de l’entreprise. Ainsi, informaticiens, chefs de projets, financiers, fiscalistes, acheteurs, responsable des Ressources Humaines, juristes et, dans certains cas, consultants, travaillent de concert pour arriver à un accord satisfaisant pour les deux parties. Durant tout le cycle de développement de l’affaire, la dimension économique et sociale et le « cultural fit » sont au sommet de mes préoccupations. »
        « Un des facteurs clés de succès : Construire la solution conjointement avec les équipes du Client afin qu’elles s’approprient le projet le plus tôt possible. Le développement de l’affaire se traduit par la mise en œuvre d’une démarche pas à pas avec des étapes de validation successives qui évitent de trop grands nombres d’itérations ou de retours en arrière. »
          Avantage de l’expérience, il sait débusquer les fausses évidences. Exemples. La facturation centralisée d’une prestation internationale que réclame tout client. Tarte à la crème du métier. Elle n’est pas optimisée et il existe des solutions, plus efficaces, robustes et faciles à mettre en œuvre.

          Autre Exemple : « Une gouvernance qui ne tient pas compte des cultures locales des pays concernés par le projet a toutes les chances de se heurter à un mur… Ou encore, le fait de ne pas communiquer suffisamment tôt avec les partenaires sociaux sur le projet, plus particulièrement en Europe, peut générer plus tard de graves problèmes… »
          Le « risk management », c’est s’efforcer de tout prévoir. Une fois que le plan de transformation est conçu. « Ça déroule. A condition d’avoir prévu les bons jalons et un suivi attentif de sa mise en œuvre, qui ne laisse rien passer. »
            Plus subtile : un tel projet ne peut réussir que s’il s’inscrit dans une « dynamique de transformation de l’existant ». Une des principales motivations de l’outsourcing, c’est la réduction de coût. Et la réduction de coût ne motive personne. Surtout, un outsourcing suppose un gros investissement initial ! L’apprentissage d’un mode de fonctionnement totalement nouveau. Si l’organisation joue les perdants, échec assuré. « 70 % du succès de tels projets résident dans la motivation des personnes impliquées (Client et prestataire). Le projet doit donc comporter des volets comme « réinvention de l’organisation concernée » et « définition de la situation cible», pas un repli défensif. » Mais pas question de masquer l’objectif économique.Le « risk management », c’est s’efforcer de tout prévoir. Une fois que le plan de transformation est conçu. « Ça déroule. A condition d’avoir prévu les bons jalons et un suivi attentif de sa mise en œuvre, qui ne laisse rien passer. »

            Une chose que je ne connais pas dans mon métier, c’est la très longue phase de négociation qui précède la mise en œuvre de la solution. Le cycle de vente de ce type d’affaires peut en effet durer entre 12 et 24 mois. « L’entreprise du Client n’étant pas « figée », il faut donc également savoir gérer le changement pendant le développement du deal… » Ça semble l’enchanter. Et il est bien le seul : il a un mal fou à trouver des juniors qui résistent à plus d’un ou deux projets. « Dans ce métier, on apprend en marchant et à la vue de la complexité croissante des affaires et de la diversité des métiers qui doivent être maîtrisés, peu de nouvelles recrues sont prêtes à monter la colline, maintenant que ce marché est devenu plus mature ».

            Sa technique ? Ne pas plier sur l’essentiel. « Identifier les « deal breakers » le plus tôt possible et les résoudre conjointement avec le Client. Il faut savoir dire non en motivant son refus ». «On a expliqué, on s’est fâchés, ils nous ont rappelés 3 mois plus tard et on a finalement conclu ».

            Clients les plus difficiles ? Les fonds d’investissement. Ils tendent à aller vers le moins disant. Et il se trouve toujours un concurrent en situation délicate prêt à promettre n’importe quoi pour sauver sa société. C’est dans ces moments qu’il faut du talent.

            Et les délocalisations ? « Cela dépend des fonctions concernées. » Pas toujours évident. Il faut gérer les coûts cachés (« en particulier, il faut considérablement renforcer les couches de management pour pallier à la différence de culture »). Gros travail de préparation pour réaliser une économie significative. Vaut-elle le risque pris à chambouler les processus de l’organisation ? Une crise sociale ? La mauvaise presse qui en est une conséquence naturelle (un boycott aux USA) ?... « Chaque affaire doit être traitée de manière spécifique. Si l’on adresse des domaines bien standardisés, c’est jouable. »

            Qu’est-ce qui fait le succès d’une négociation ? La confiance. Sans elle rien n’est possible. Au début : méfiance. « Le prospect me regarde du coin de l’œil ». Jusqu’à ce qu’il lâche « à ma place qu’est-ce que vous feriez ? ». « La confiance est établie et on peut réellement se mettre au travail... »

            Remarque finale. « L’entreprise classique est organisée « top down ». Le dirigeant décide, le RetD conçoit, l’usine produit, le commercial vend. Dans l’entreprise de service, celle vers laquelle nous allons, la pyramide est inversée. La solution se conçoit au contact du Client. La décision se prend avec lui, en local. Le haut de la pyramide n’est plus qu’un compteur. Il est à la remorque de ses équipes. »

            Mes observations :

            • La conception du plan d’action (pas détaillée ici) suit la technique dite de « donneur d'aide ».
            • La phase suivante, avec son suivi attentif, correspond à ce que je crois essentiel dans la mise en œuvre d’un changement.
            • Sa description de la dynamique nécessaire au groupe est celle d’un « Stretch goal », la redéfinition de l’identité de l’organisation.
            • Le processus qui lui permet d’obtenir la confiance de son client a été décrit presque dans les mêmes termes par Edgar Schein. C’est la « construction d’une relation d’aide ». Frédéric Laîné est probablement un « donneur d’aide », le profil type de l’animateur du changement.

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