vendredi 22 août 2008

Entreprise, bien commun

La note précédente a un intérêt évident pour l’entreprise. Si l’organisation qu’elle décrit peut y être mise en place, alors l’entreprise s’auto-contrôle, ce qui réduit massivement ses coûts (aujourd'hui le contrôle est le rôle des très coûteux « cols blancs » et des non moins coûteux progiciels de gestion). Mieux : elle s’auto adapte au changement. Il devient, même, une sorte de moteur.

Premier point, l’entreprise répond à la définition de « bien commun » d’Elinor Ostrom (pas détaillée dans la note précédente) :

  1. ses limites sont bien définies,
  2. ceux qui « s’approprient » ce qu’elle produit (un flux financier) sont ses employés et ses actionnaires : ils en tirent un revenu,
  3. en échange, ils l’entretiennent de façon à ce qu’elle renouvelle son potentiel.

Deuxième point, la menace qui pèse sur sa tête est la « tragédie du bien commun ». J’observe régulièrement dans mes missions deux mécanismes :

  1. Un phénomène spectaculaire, souvent suscité par des réorganisations pleines de bonnes intentions. Les nouvelles unités créées, au lieu de jouer le jeu de l’équipe, se mettent, immédiatement, à défendre leurs intérêts. Plus rien ne fonctionne dans l’entreprise. La réorganisation a cassé les règles qui faisaient de l’entreprise une équipe.
  2. Plus subtile : on fait des économies sur l’entretien. Autrement dit, on n’investit que dans ce qui donne des résultats à court terme. Moins de recherche et développement ; on licencie les personnels les plus expérimentés, car les plus chers ; on ne s’intéresse plus aux clients et à l’image de marque de la société… Au bout de quelques années l’entreprise s’enfonce dans le rouge, mais on ne sait pas pourquoi. On accuse la conjoncture, qui présente toujours quelque chose de défavorable. Et on crêve (ou on est acheté).

Une idée revient obstinément dans mes 3 livres. Ils affirment à répétition que, pour lutter contre cette tragédie, il ne faut pas faire ce que nous faisons tous : vouloir imposer le changement par la force, et considérer les membres de l’entreprise comme des « assistés ». Mais faire qu’ils soient responsables de la mise en œuvre du changement. « Donner les clés de la maison au petit personnel » dis-je dans un article.

Attention : pas de carte blanche. On leur fournit un cadre qui leur permet de mener à bien leur mission. Ce cadre est « l'ordinateur social » (un terme générique qui regroupe une catégorie de techniques aussi vieilles que le monde). En décrire les caractéristiques est l’objet de mes livres.
Justement, l’exemple du Sri Lanka (note précédente) montre un tel type d’ordinateur social. Bizarrement, ses « animateurs du changement » sont appelés « catalyseurs » comme dans mes livres.

Une différence cependant : la communauté opérationnelle ne doit pas être laissée à elle-même. Elle doit faire évoluer les lois de son organisation en tenant compte de l’ensemble des intérêts de la société. C’est pourquoi « l’ordinateur social » ne peut fonctionner sans avoir des représentants de ces intérêts. Une participation (indirecte) du dirigeant est impérative. C’est l’animation du changement qui lui permet de faire entrer ses préoccupation dans l’ordinateur social, et de s’assurer qu’il leur trouve une solution satisfaisante.

La force de rappel de l’ensemble, le fait que chacun s’observe pour savoir si la communauté suit bien les règles du groupe, est aussi probablement de mise dans l'entreprise. J’observe dans mon dernier livre qu’au démarrage d’un changement chacun veut s’assurer qu’il ne va pas profiter plus à certains qu’à d’autres. Si c’est le cas, il y a une sorte de « désolidarisation » du groupe. D’où l’importance des phases d’intégration des nouveaux employés, qui leur inculquent les règles communes.

Une comparaison faite entre organisation allemande, à forte intégration initiale, et anglaise, qui forme peu ses employés, montre d’énormes différences en termes de structures de contrôle : très grande liberté dans l’entreprise allemande (faible encadrement), coûteux mécanisme coercitif dans l’entreprise anglaise.

Je souscris aussi à la vision du changement d’Elinor Ostrom. Une des idées finales de mon premier livre est qu’après un premier changement, généralement difficile, l’entreprise acquiert une compétence d’adaptation, elle a appris à changer. Et le changement devient stimulant : l’entreprise a envie de changer.

Surtout, son tissu opérationnel prend en main la résolution des dysfonctionnements qui l’affectent directement (jusque là il se serait lamenté de l’incompétence de son management).

Les structures d’administration du bien commun dont parle Elinor Ostrom ressemblent aux comités transversaux qu’utilisait Alfred Sloan pour gérer GM. Je suis de plus en plus convaincu que ce qui rend une entreprise efficace, c'est-à-dire « auto adaptable » au changement (donc durable), est de disposer de telles unités, en permanence en veille quant à la moindre émergence d’un dysfonctionnement interne. En même temps, je crois que l’entreprise a besoin d’une capacité centralisée à mener le changement, la « cellule d’animation du changement » de mon premier livre. Elinor Ostrom ne semble pas voir le besoin d’une telle structure. Je reviendrai sur ce sujet dans une prochaine note.

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