mardi 19 août 2008

Braquage à l'anglaise

Histoire vraie. Le gouvernement anglais ne peut pas faire condamner un activiste, coupable de sévices, parce qu’il possède des photos compromettantes d’un membre de la famille royale. Les services secrets décident de manipuler une équipe de marginaux, de les promouvoir au rang du grand banditisme, bref de les amener à cambrioler la banque qui contient les fameux documents.

Et il se passe ce qui arrive à tout plan imparable conçu par un esprit supérieur : l’imprévu. Les services secrets n’arrivent pas à intercepter les cambrioleurs, moins stupides qu’on le croyait ?, à la sortie du casse. Or, ceux-ci trouvent dans la banque beaucoup plus que les photos recherchées (et 4m£ de l’époque) : le roi du porno local y avait entreposé la comptabilité des pots de vin qu’il versait à la police, et un de ses établissements y plaçait les films des ébats de ses clients : une partie de l’élite politique du pays.

Angleterre éternelle ?

Drôle d’image de l’éducation que l’Angleterre donne à ses élites. L’amour du coup tordu, le culte du secret, une croyance aveugle en sa supériorité intellectuelle, un mépris total des règles de la démocratie. Et, certainement, un mépris encore plus grand pour un peuple d’Untermenschen. À côté de cela, des passe-temps qui révèlent probablement qu’une culture qui est par trop contre nature ne peut être imposée à l’homme sans sérieux dommages. Même l’hypocrisie n’est pas ce qu’elle est ailleurs : une tentative désespérée de se conformer à des règles inaccessibles. Si ces hommes politiques cachent leurs penchants, ce n’est pas par honte (ils s’amusent au milieu du public de leurs pairs), mais parce qu’ils savent qu’ils ne sont pas goûtés par la morale publique, qu’ils font profession de défendre.

Le modèle de Robert Merton

Quant au comportement des policiers, corrompus, il me semble décrit par la modélisation du sociologue Robert K. Merton. Ce que dit un de mes livres :

L’homme, lorsqu’il doit « s’Adapter », c'est-à-dire faire un choix d’existence ou prendre une décision, doit tenir compte des règles de la culture à laquelle il appartient. Deux contraintes lui sont imposées : des objectifs que la Société juge désirables (occuper un poste élevé) ; des moyens acceptables de les atteindre (faire des études supérieures). Il peut donc choisir cinq types de solutions :

Conformité : il parvient aux objectifs approuvés par la Société en employant des moyens « légaux » (c’est un haut-fonctionnaire qui a fait des études brillantes).

Innovation. « La fin justifie les moyens », il réussit par des moyens déloyaux. C’est le comportement du malfaiteur, du manipulateur, du sportif qui se dope, de l’homme politique qui utilise son pouvoir pour forcer des entreprises à financer ses campagnes, du dirigeant qui falsifie ses comptes…
L’Innovation suit le mécanisme de l’hypocrisie, « hommage que le vice rend à la vertu » selon La Rochefoucauld : c’est une tricherie qui semble si bien coller aux règles de l’entreprise qu’on en félicite les auteurs.

Ritualisation. Les objectifs n’étant pas jugés atteignables, il se donne l’illusion de maîtriser son environnement en sacralisant sa tâche quotidienne, les « moyens ». C’est souvent le cas de l’expert, du bureaucrate, du fondamentaliste.

Repli. Moyens et objectifs sont jugés inaccessibles. Il y a repli sur soi. C’est le cas du Sans Domicile Fixe, qui vit au jour le jour, sans espoir, de l’exclu. C’est aussi ce que les psychologues appellent « résignation apprise » : l’expérience a montré à la victime de ce mal que tout effort était vain.

Rébellion. Refus de la culture dominante.

Innovation

Dans le cas des policiers (et des politiciens), on a un exemple d’innovation : les moyens étant jugés hors d’atteinte, on triche.L'innovation est un problème majeur pour toute entreprise, particulièrement en période de changement : comment éviter cette « innovation » ? Ce mal a tué Enron et Worldcom, et failli être fatal à IBM. L’innovation vient d’objectifs trop ambitieux, et de moyens trop difficiles à employer : le monde anglo-saxon a, pour l’homme, une grande exigence de réussite matérielle, tout en le contraignant fermement (morale protestante). Pas étonnant qu’il innove. D’autant moins étonnant que le culte de l’individu qu’on y pratique laisse l’homme seul face à ce difficile exercice. Et que, d’ordinaire, c’est l’aide de la société qui nous permet de le mener à bien.

Conformité

Bien sûr, tout le monde n’échoue pas. Ceux qui réussissent (conformité selon Merton) s'appellent des héros. Ici, il y en a plusieurs : un inspecteur de police, et les cambrioleurs.

Compléments :

  • MERTON, Robert K., On Social Structure and Science, The university of Chicago press, 1996. Quant à l'innovation d'Enron : EICHENWALD, Kurt, Conspiracy of Fools: A True Story, Broadway Books, 2005.

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