mercredi 9 juillet 2008

Perfide Albion

L’économie de la très vertueuse Angleterre va mal. La façon dont elle s’est mise dans ces mauvais draps illustre 2 résultats importants :
  1. une caractéristique de la culture anglo-saxonne ;
  2. une technique de conduite du changement que tout praticien doit connaître.
Décor : situation de l'Angleterre

Retour aux subprimes (Jacques Mistral: comment éviter subprime 2 ). Les organismes financiers doivent garantir leurs actifs risqués. S’ils masquent ces risques, légalement, ils peuvent augmenter les sommes à prêter. D’où cercle vertueux. D’énormes populations de nouveaux clients apparaissent, celles qui étaient trop risquées pour qu’on leur prête ! Et il n’y a que des heureux. L’augmentation de la demande fait exploser le prix de l’immobilier (+140% en 10 ans en Angleterre), les endettés sont de plus en plus riches, et ils peuvent s’endetter encore plus pour consommer plus.

Mieux. Toutes les entreprises locales se sont mises à l’endettement. Comme l’a montré Enron, l’endettement peut être un moyen de générer une apparence de revenus à court terme. Et tant que votre chiffre d’affaires est ainsi stimulé, votre ratio d’endettement est rassurant. Vous pouvez continuer à emprunter.

Quand tout ceci se retourne, le cercle vertueux devient fort vicieux. Et cela explique probablement pourquoi les banques centrales anglaises et américaines maintiennent des taux faibles, alors que les menaces d’inflation devraient les encourager à les relever (BCE à contre courant). Ce n’est pas tant une question de stimulation de l’investissement, comme on le prétend parfois, que le désir d’éviter une suite massive de faillites. Car, pour certaines entreprises, leurs dettes ont dépassé leur valeur, plus personne ne veut acheter leurs actions.

Mais, « sur le long terme nous sommes tous morts » (Keynes). Ce cercle est vertueux suffisamment longtemps pour faire quelques fortunes, et c’est tout ce qu’elles lui demandent.

Comment le déclencher ?

Comment être perfide

Les règles qui guident notre société ont deux composants :
  1. Un esprit.
  2. Une expression explicite.
Par exemple, l’objet du rugby est de marquer des essais. Les moyens pour ce faire sont limités par des règles. Ainsi, certains comportements sont illicites et sanctionnés par des pénalités. L'adversaire est prisonnier de l’esprit, la règle du jeu implicite : il veut marquer des essais. L'Anglais veut gagner. Il pousse l’adversaire à la faute ; et il s’est entraîné au tir de penalty. Il est irréprochable parce qu'il suit la lettre de la règle.

Perfidie anglaise = respect absolu de la lettre, et trahison de l’esprit.

Application à l’économie. Les règles de la comptabilité sont là pour limiter les risques que pose l’entreprise, pour fixer les règles du jeu. Le public lit un bilan en lui prêtant cet esprit. Si on a réussi à le trahir sans enfreindre la loi, on peut s’enrichir impunément.

Parvenir à trahir l’esprit d’une loi, sans toucher à sa lettre, est ce que l’Anglo-saxon appelle une « innovation ». Enron et Bear Stearns, par exemple, ont été récompensées pour leur « innovation », avant de sombrer.

Compléments :
  • En Français c'est le « coup de Jarnac ».
  • Britain’s sinking economy, The Economist, 3 juillet 2008. Throwing in the keys, The Economist, 3 juillet 2008. Collateral damage, The Economist, 3 juillet 2008.
  • Pour Enron et Bear Stearns, voir leurs aventures sur Wikipedia. Aussi, sur Enron : EICHENWALD, Kurt, Conspiracy of Fools: A True Story, Broadway Books, 2005.
  • L'innovation, au sens anglo-saxon du terme, a été étudiée par le sociologue Robert K. Merton, voir : Terrorisme et Angleterre

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